Quelle réforme fiscale ?
L’impôt sur
la fortune brandi sous des formes diverses par le PTB est vu comme
électoralement rentable, mais il s'agit d'un impôt sur les fortunés. Il
ne pourra jamais être qu'un coup d'épingle faute de quoi ils
partiront. On peut y voir une version timide et peu adroite de l'impôt sur le capital qui avait la
faveur de nombre d'économistes libéraux, désireux de s'attaquer à l'imposition
contre-productive et anti-sociale du travail.
La proposition la plus élaborée est celle de Maurice
Allais, prix de la Banque de Suède en 1988 (le "Nobel économique"),
qui voulait une taxation forfaitaire annuelle de 2 % du seul capital physique
(terrains, bâtiments, équipements, et stocks). Ces avoirs sont difficiles ou
impossibles à délocaliser, dissimuler ou sous-estimer, ce qui garantit l'impôt. On résout le problème
posé par ces grandes entreprises qui parviennent à échapper à toute
imposition. La taxe est anonyme, sur des biens, utilisés ou non, loués ou possédés par ceux qui en disposent.
Un utilisateur efficace gagnera de l'argent, inefficace il en perdra et sera
incité à vendre à un opérateur plus performant. Allais estimait son système
favorable au dynamisme économique, dissuasif de la détention de biens
improductifs, du gaspillage de ressources ou de capital et de la spéculation.
On traite ceux qui détiennent un capital en
locataires d’un bien public.
Le précompte immobilier est une version partielle de cet impôt sur le capital.
On taxe forfaitairement le bien pour ne pas imposer les loyers. En revanche il
est payé avec de l'argent déjà taxé, c'est une double taxation. Si on était rigoureux et cohérent, il serait déductible du revenu imposable. En effet
une taxation du capital n'exclut pas d'imposer le revenu des particuliers
à l’IPP (impôt des personnes physiques) mais si on veut taxer équitablement les revenus de la
propriété, y compris les plus values réalisées, on remplacerait ce
dernier par la taxation du train de vie (« expenditure tax »), telle
que proposée par James Meade (prix de la Banque de Suède 1977).
Le principe
est simple : toutes les rentrées d'argent sont globalisées pour
former la base imposable y compris les dividendes, loyers perçus, salaires,
honoraires, produits des ventes, et même les emprunts et remboursements. En
revanche ce qui est soustrait à la consommation, comme l’épargne et l’investissement,
y compris l'achat d'un capital mobilier ou immobilier, mais aussi
les frais d’entretien et la taxe payée sur ce capital, tout cela est déduit de cette base imposable.
https://fr.wikipedia.org/wiki/James_Meade_(économiste)
L’idée de
Meade a plusieurs avantages. Elle abaisse le seuil de revenus en
dessous duquel il est impossible d’épargner, favorise l’accès à la propriété
immobilière et mobilière, et par ce biais encourage l’esprit
d’entreprise et facilite l’initiative privée. L’épargne et
l’investissement, fiscalement déductibles, seront facilement déclarés, et
un registre des actifs économiques se constituera, peu propice à
l’évasion de capitaux vers des paradis fiscaux.
Le
but de toute activité économique étant la consommation, c’est elle
qu’on taxe, à l’impôt progressif. On
traite l’épargne et l’investissement comme une consommation différée,
soumise tôt ou tard à cette imposition ou aux droits de succession.
Les revenus
de la propriété sont imposés équitablement, selon le train de vie
que le contribuable aura librement choisi, en fonction de ses moyens. Le
système tient compte des plus-values et des pertes et évite le piège dans
lequel tombe le précompte mobilier quand il taxe
un revenu nominal, partiellement ou totalement fictif
puisqu’il ignore l’inflation.
Meade avait
lui-même émis des doutes sur la faisabilité de sa
proposition, qui remonte à l’après-guerre, mais l’informatique permet de
surmonter cette hésitation.
* * *
La lourdeur des prélèvements sur les salaires (cotisation
patronale, salariale, précompte professionnel) dissuade les embauches, encourage les licenciements, incite
à remplacer le travail par du capital. D’autant plus que les entreprises déduisent les investissements
de leur bénéfice imposable. Un impôt sur
le capital réduit cette tentation. Il répond aussi aux propositions de taxer à part l’outil informatique perçu comme menace sur l’emploi, un
impôt discutable et peu favorable au télétravail, contrairement à
un impôt sur le capital valorisant la réduction des locaux occupés.
Pour l’entreprise, l’impôt sur
le capital une fois payé, ce qui reste des bénéfices
(réinvestissements, dividendes, salaires)
pourrait être défiscalisé. Le plus possible et c’est le but. Réduire
la différence entre le salaire brut et le salaire net diminue le coût du travail. En revanche quand ce qui est réinvesti renforce le capital, sa taxation augmente.
Maurice
Allais voulait se servir de l’impôt sur le capital pour abolir
complètement l’imposition du travail, c'est-à-dire la taxation
des bénéfices des entreprises mais aussi l’impôt sur le revenu des
particuliers. Il avait montré que ce
serait possible si l’Etat récupérait les bénéfices de la création de la
monnaie par le crédit, abandonnés à des banques privées. L’euro et
le rachat de titres des dettes publiques par la Banque centrale européenne ont
changé la donne, mais une autre idée est en train de surgir pour
financer l’Etat : la micro-taxe.
Il
s’agirait d’un prélèvement minime de 0.5 %, indolore pour les particuliers, sur
chaque transaction électronique. Les frais de perception seraient
insignifiants, une adaptation du
logiciel des banques suffirait.
Ses
partisans soutiennent que le volume annuel des échanges
est si important, au moins cinquante à cent fois le PIB que le rendement
de la taxe permettrait de remplacer tous les impôts actuels
et de financer un revenu de base pour les résidents
légaux, afin de combattre la pauvreté et renforcer ou
compléter la Sécurité sociale.
L’idée est
intéressante mais demande à être nuancée. L’appartenance à
l’UE empêche d’abolir la TVA. On pourra la réduire mais pas la supprimer et cet
impôt joue un rôle dans la préservation du tissu industriel :
il frappe les importations en épargnant les
exportations. Ensuite, si on introduit
un revenu universel, on voit mal comment renoncer à un impôt
progressif permettant de le récupérer chez ceux qui n’en ont nul
besoin. Enfin, si le volume des transactions électroniques est si
élevé, c’est en raison d’échanges
spéculatifs déconnectés de l’économie réelle, y compris le « trading à haute
vitesse » .
Une taxe sur des transactions de ce type deviendrait vite impayable. Le secteur
financier s’adaptera, en les réduisant ou en les transférant hors d’atteinte du
fisc. Au total le rendement de la taxe sera moindre qu’espéré, même s’il
autorise une réduction substantielle de l’impôt sur le revenu, excessif en
Belgique et d’abord pour relever un seuil de taxation qui frôle le minimum vital. Plus fondamentalement une
micro-taxe sur les transactions électroniques opérerait un transfert fiscal, un
« tax shift » aux dépens du secteur
financier et au bénéfice des particuliers.
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Baudouin
Petit
8-06-2020